Il y avait toujours quelque chose de nous qui subsistait dans l’air depuis des passés millénaires et un jour je me suis souvenue que nos rires avaient un pouvoir endémique, sous la vulnérabilité agressive du monde-ailleurs. 
Je nous vois toujours d'en haut, adossée à la rambarde en acier, je peux toujours nous observer comme si je n'étais pas là, pourtant je ne m'efforce jamais de vivre à l'instant, il ne se dérobe plus sous mes pas, sous le regard d'automne, alors je me remémore l'hiver dernier et ce temps qui s'arrête pour combler les années et peut-être une distance qui pourtant jamais ne s'est installée, et les souvenirs m'ont quittée, seul des images s'invitent parfois, du vieux parquet dans la ville noire, de la nappe blanche derrière le grand rideau, de la baignoire charleston où j'aurai pu me noyer, des chaises entassées dans le jardin, des bières finies au dessus de l'hôpital et cette tristesse qui m'engluait dans cette dernière étreinte sous la nuit noire, nos yeux prononçaient des adieux, quand nous étions assis sur le pas de la porte et que mes larmes auraient pu couler jusqu'à ce que le jour se lève, de petits boutons sur tes chevilles et nos corps qui glissaient sur l'asphalte au bord de la Méditerranée, de la main m'empoignant, de l'idée que je me faisais alors de l'avenir et sûrement de cette nuit là, où j'avais ri autant que j'avais pleuré, te gardant dans la prise de mes bras, de peur de brûler loin de toi, j'étais là-bas chez moi.
Ces images me peuplent sans arrêt ces derniers temps, elles réécrivent l'histoire. Mon imagination a-t-elle le pouvoir d'inventer une fin nouvelle ? Pourrais-je seulement m'astreindre à autre chose qu'une idée versatile ? Mais dans la nuit, je me pose les questions auxquelles je n'ai plus cherché de réponses depuis bien trop de temps. Nous sommes nés en été et puis morts à nouveau en été, et il y a notre enfance à cet endroit et quand j'ai laissé l'impact m'assaillir, il y avait l'idée du premier sentiment, alors j'ai pensé à la superposition de toi, des idées, des images en mille-feuille, des choses que j'ai toujours paressé à rendre synchrone, à ce que je suis, qui avait vacillé de la tendresse à la colère et de l'amour à la tristesse, pourtant dans l'été, j'ai donné plus de soustraction à tout cela comme si tu étais toujours un lieu bien plus concret, que tous ceux qui adviendraient ensuite.

J'ai marché le long de l'eau, en te parlant alors que tu n'étais pas là, j'ai eu le pouvoir d'entendre ta réponse, j'inventais une histoire et tu la conjurais à mes côtés, mais tout avait changé, j'avais changé, tout ce que j'avais supposé était resté dans la nuit, j'étais l'enfance à nouveau et les infortunes n'avaient plus de force à l'impact. J'ai eu envie de te parler toute la nuit, pour que tu me connaisses trop et à nouveau, je voulais te connaître trop, pourtant j'avais une délicatesse évasive à cet égard et je me suis souvenue que j'avais changé, tout en pensant aux rires endémiques, que je cherchais sans arrêt et à tous les endroits.
A ce moment là, je n'aurais pu troquer ma solitude pour une conception, je racontais des histoires, des idées flottantes, sans avoir encore la force de donner à ma vulnérabilité une enveloppe suffisante pour naître au monde, j'habite dans le passage, de cette solitude charnue, mais je ne suis plus jamais esseulée et je ne dis plus je t'aime, je ne dis plus jamais je t'aime, c'est un souvenir lointain quand j'étais ceinte de bras. Les affections qui m'habitent sont plus subtiles aujourd'hui, mais j’ai la susceptibilité de déposer des choses à leurs pieds. Je ne sais pas si ce sentiment lointain, me frôlera un jour à nouveau, ai-je de la nostalgie à le coucher sur le papier ? Je ne crois pas, c'est une invention neuve qui  -encore une fois- se greffe à l'enfance, plus que jamais je ne l'avais éprouvé auparavant, les sentiments neufs et dépouillés de leur sens originel font taire mon arrogance, mes subjectivités. J'ai une allégorie neuve de l'amour, puisque je suis proche du premier âge, mais est-ce que vieillir ça n'est pas cela finalement ? Choisir, chaque jour et tous les jours, la légèreté et la surprise qui s'invitent toujours aux émotions, les rendant vierges, mais rien ne se dérobe et je ne cours plus jamais après une idée.

Alors je me souviens que l’hiver dernier, je parlais avec mes mains, malgré les tremblements qui faisaient tressaillir mon corps émacié de tristesse, sur le tissu orange et sous la lumière édulcorée j'avais souhaité que tes bras ne bousculent pas ma vérité et chasser le repos qu'ils invitaient dans mon regard de sel et d’eau.

Les blessures à vif, j'ai eu peur de cette envie, dormir auprès de toi où les volets d'été.

crédit photo : céleste borle