Je voulais rendre sourdes les effluves qui me revenaient, pourtant à quoi bon chasser le sentiment, s’il ne dit rien de ce qui a été parcouru, des images en filigranes qui ont repeuplé mon cerveau, je n’ai que cette émotion fugace, mais rien à quoi la rattacher, elle me traverse et file en interstices, faute de pouvoir se river à moi. En cherchant dans les formes, les mots et sous le poids des histoires inconnues, je n’ai plus rien eu à prédire. Pourtant, je voudrais parfois une idée concrète et de la nostalgie, ressentir la force de l’impact quand il advenait alors, pouvoir me dire sans détour, c’est ce que nous étions, mais tu es un concept, une idée abstraite, une entité jamais pleine, jamais réelle. Quand l’émotion s'immisce, elle me donne à voir ce qui a été perpétué, dans l’idée d’un continuum des offenses que tu infligeais et qui alors te rendait réel, sans jamais que tu ne le sois vraiment. Est ce que faire, c’est suffisant pour être ? Si, tenté que cela fut suffisant, je suis un maillage et le liquide âpre que tu faisais couler dans mes idées n’a jamais réussi à s’attacher, à s’ancrer à rien. Mon unique idée concrète à ton égard est une matérialisation du néant, peut-être ne l’avais-je pas vu, parce que je n’ai jamais cru au bonheur, tout en ayant toujours cru en la joie, en l'étonnement et l'émerveillement des toutes petites choses.
Le bonheur est une chance, un hasard, la joie -ma joie- a été un choix -une topographie du contentement, une idée du plaisir- tout aussi bien instantanée que pérenne. J’ai choisi ma joie -mes joies, en faisant l’économie de la chance et du hasard, parce que ça ne m’intéresse pas. Le hasard et la chance n’ont jamais rien à dire sur ce qu’ils prétendent être (peut-être que ton endroit n’était que ça, une chance hasardeuse qui ne disait rien de ce que tu étais), ils portent une suffisance, une absence de l’effort, mais il y a de la joie dans la volonté de faire et dans l’action d’être.
J’agis à la contemplation et à la construction, pour broder ma joie, des joies. Je me demande souvent si l’acte d’aimer n’est pas un acte de gaieté, une volonté consciente d’allégresse (démonstration vive, bruyante et collective de la joie), où les imperfections de la vie ne peuvent être couvertes qu’à travers un bruit plus fort, plus juste, une mélodie du contentement.
J’agis tout en étant, en habitant un espace pluriel, en cohabitant avec un quartet dans la tête, en ne choisissant plus, en ne renonçant pas aux contradictions qui me tiraillent, être, c’est être tout à la fois, dans l’infinie complexité que cela comprend, dans l’immensité de nos imperfections, mais j’aime les choses imparfaites.
La joie c'est savoir cueillir la discrétion de nos imperfections, alors je m'astreins à ne plus faire la sourde oreille, je contemple et j'exalte pour construire ce que les joies feront de nous demain.